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Karak Vanne

30 septembre 2012

Saison 1 - Episode 13 - Le Volontaire

            Svorn s’arrêta devant la porte flanquée de deux gardes et attendit en les fixant d’un air autoritaire. Ne voyant aucune réaction sur leurs visages, il frappa les tibias du plus proche. Ce dernier se hâta de lui ouvrir en boitillant et Svorn pénétra dans la salle du trône en ronchonnant. A sa grande surprise, il n’avait pas été le seul à être convoqué. Alignés les uns à côté des autres se tenaient Brandir, Hjotra, l’espion demi-humain et l’éclaireur borgne et gâteux. Les trois conseillers du seigneur Arzhiel firent signe au haut prêtre de les rejoindre. Svorn se demanda vaguement si cette réunion avait un quelconque rapport avec leur débâcle de la semaine dernière contre des troupes humaines où Arzhiel avait manqué manger sa barbe de rage.

 - Ah, la fine équipe au grand complet ! lança ce dernier en arrivant à son tour.

             Le nain se hissa sur son trône et observa son état-major d’un air pensif. Un bruit de ferraille retentit dans le couloir proche. Un nain d’un roux vif fit son apparition, traînant derrière lui un énorme boulet.

 - Voici Rugfid, tout fraîchement sorti des geôles, déclara Arzhiel. Anciennement explorateur à mon service à la recherche de nouvelles richesses et ressources, accessoirement un fieffé débile qui a planté sa mission et se planquait à la taverne depuis un mois pensant que je l’y laisserais peinard.

- Je suis aussi son cousin, ajouta Rugfid en ricanant.

- Ça, c’est pas prouvé, l’interrompit Arzhiel, visiblement honteux de ce détail. Rugfid, rongé de remords, n’a plus qu’un seul but dans la vie : redorer son blason.

             Devant l’expression perplexe de ses lieutenants, Arzhiel corrigea.

 - Il veut racheter sa faute. Navré, j’oubliais à qui je m’adressais…Heureusement pour sa pomme, il connaît l’emplacement d’un bon filon non exploité et il saurait y retourner. Ce qui entre nous vaut mieux s’il ne veut pas nourrir les corbeaux, accroché par les narines à la potence. Il lui faut le même que lui en moins incapable pour l’escorter. Vous êtes là pour ça. Que Gazul me pardonne, j’ai rien trouvé de mieux que…vous.

             Arzhiel eut un geste de la main dédaigneux pour désigner les cinq nains alignés dont Brandir qui était chaussé de deux bottes différentes et de l’espion qui piquait Hjotra sur sa gauche avec le bout de sa dague, celui-ci pouffant comme s’il s’agissait de chatouilles.

 - Il me faut un volontaire ! ordonna Arzhiel.

             Cinq minutes passèrent dans un silence gêné. Personne ne bronchait. Svorn fixait le bout de ses chausses, Hjotra faisait semblant de s’être endormi debout et l’éclaireur comptait les poils qu’il avait sur la main. Arzhiel ne disait mot, la veine enflant sur son front parlant pour lui. Las, il piocha dans sa bourse et jeta une pièce d’or aux pieds des cinq héros. La torture commune débuta. Brandir transpirait à grosses gouttes, Svorn était pris de convulsions et Hjotra se mordait le poing pour résister. L’incontournable avarice naine fut trop forte et tous les cinq craquèrent en même temps, se ruant sur la pièce abandonnée en se livrant un farouche combat.

 - Cousin, ils vont s’entretuer, souffla Rugfid, inquiet.

- Si seulement c’était vrai…

             L’éclaireur borgne fut le premier vaincu, éjecté au loin par la masse furieuse. Hjotra usa de son rat domestique pour terrasser l’éclaireur, mais fut à son tour mis en fuite par Brandir qui imita un rire d’enfant pour l’effrayer. L’espion tenta d’égorger Svorn. Il ne parvint qu’à s’entailler l’oreille en laissant échapper son couteau. Dame Elenwë, attirée par les pleurs et les cris, arriva pour assister à la fin de la mêlée.

 - Que se passe-t-il ? Il n’arrivent pas à décider qui a la plus longue…barbe ?

- Non, ils sont amoureux de vous et se battent en votre nom.

- Vraiment ?! s’exclama l’elfe, enchantée.

             Arzhiel échangea un regard désabusé avec son cousin tandis que la sorcière prenait de multiples poses gracieuses et glamours pour inspirer ses soupirants. Le duel n’aboutissant à rien, Arzhiel y mit fin avant que Svorn ne dégaine ses runes explosives.

 - Je double la mise, fit-il en lançant une autre pièce d’or. Celui qui parvient à faire un compliment sur la beauté de mon épouse remporte tout !

             Brandir et Svorn, les poils de barbe en bataille et les yeux pochés, se regardèrent d’un air penaud et désespéré.

 - Reconsidérez votre épreuve, seigneur, gémit Svorn. Un truc moins dur quoi.

- Là c’est carrément pas jouable, ajouta Brandir en fixant l’elfe avec un haut-le-cœur.

             Les joues d’Elenwë s’empourprèrent et sous la colère, elle jeta son sortilège favori de métamorphose. Brandir le reçut de plein fouet et se changea en bouc tandis que la sorcière repartait, courroucée, en maudissant les nains dans sa langue incompréhensible.

 - Svorn, c’est donc vous qui vous y collez ! déclara Arzhiel, satisfait.

             Comprenant le piège, le prêtre pesta mais empocha vite l’argent gagné. Arzhiel congédia les autres qui partirent en claudiquant, sauf Hjotra qui chevauchait Brandir entre deux rires niais.

 - Svorn, vous allez voir, ça va être fendard comme expédition ! lança gaiement Rugfid. On va voir plein de choses formidables en route : des rivières souterraines à traverser, une tribu d’orcs cannibales, des cavernes remplies de gaz mortels, plusieurs précipices sans fond…

- Seigneur, c’est injuste ! protesta le prêtre. Je vais me plaindre aux dieux, et surtout à Gazul !

- …des fourmis rouges géantes, un labyrinthe mortel, un ogre poseur d’énigmes…

- Arrêtez de râler tout le temps, on dirait moi, répondit Arzhiel avec un large sourire. Ça vous fera une bonne expérience sur le terrain. En plus, mon cousin est un gars très bien quand il n’est pas ivre ou pris d’une crise de démence meurtrière durant son sommeil !

- …un minotaure assez susceptible, des pièges magiques, un démon prisonnier des roches…

- Soyez maudit ! pleurnicha Svorn en quittant la pièce, Rugfid le tirant par le bras.

- Amusez-vous bien ! répondit Arzhiel en saisissant son carnet à boulets. Bon alors, Svorn en expédition forcée, Brandir à la mine de charbon et Hjotra…Tiens, je vais le mettre à la garderie avec la marmaille. Il va adorer. Si avec ça, ils ne se bougent pas le fion pour remporter la prochaine bataille, je vais postuler comme sentinelle chez les drows ! Vous en dîtes quoi ?

             Arzhiel se tourna vers ses conseillers. Les trois nains dormaient, dans les bras les uns des autres. Arzhiel massa sa veine gonflée. D’une main tremblante, il ajouta trois noms sur son carnet.

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30 septembre 2012

Saison 1 - Episode 12 – Tel un Héros

            Hjotra tambourina à la porte comme un forcené. Arzhiel ouvrit à la volée, le regard ombrageux s’enflammant à la vue de son ingénieur.

 - Je vous fais la promesse solennelle que si vous me dérangez encore parce que votre rabot favori a disparu ou que votre cafard domestique s’est fait la malle, je vous mets en première ligne à la prochaine bataille avec une cible peinte sur le front.

- Le rabot était dans ma poche en fait, se justifia le nain. Non mais là, c’est urgent. C’est Svorn qui m’envoit vous chercher parce que…Tiens, vous preniez un bain ?

             Le seigneur à moitié nu remonta son pantalon d’un air ennuyé.

 - Pas exactement…Je…J’étais en entretien avec une suivante de ma femme…On parlait boulot. Sinon, vous disiez quoi à propos de Svorn ?

             Hjotra jeta un œil dans la chambre et salua la suivante qui sortait du lit.

 - C’est ma frangine, expliqua l’ingénieur avec un large sourire devant son chef devenu livide. Alors, elle fait bien son travail ? Papa et maman vont être fiers quand je leur raconterai ça !

- Donc Svorn, l’interrompit Arzhiel en s’étouffant dans un toussotement.

- Les ouvriers sont tombés sur un nid d’arachnides géantes lors de la construction d’une galerie. L’aile ouest est envahie d’araignées et la garde est surpassée.

- Quoi ? Mais depuis combien de temps ?!

- Quelques heures. Je voulais vous prévenir avant, mais je me suis perdu dans les étages. J’ai dû attendre une plombe avant qu’une bonniche ne passe pour m’indiquer le chemin. Vraiment ! Parfois j’ai honte que ma sœur fasse partie d’un personnel aussi nul.

             Arzhiel regarda d’un air incrédule son lieutenant se plaindre de ses subordonnés puis se hâta de rejoindre l’aile ouest. Sur place, les combats faisaient rage. Les lanceurs de runes luttaient au corps à corps contre des nuées d’araignées grosses comme des chiens ou des chevaux.

 - Ah enfin ! pesta Svorn, couvert de plaies, en voyant venir son chef. Vous pioncez ou quoi ?!

- Il était en entretien, déclara Hjotra.

- Déjà, le chauve il me parle pas comme ça où je lui colle un bourre-pif, direct. Ensuite, on en est où ? Où sont les guerriers et les protecteurs ?

- Dans leurs quartiers. Ils roupillent ou jouent aux dés en se saoulant.

             Arzhiel saisit son prêtre par le collet et le tira violemment en avant pour lui faire esquiver un lanceur de runes passant en vol plané dans son dos. Ce dernier s’écrasa en rebondissant au sol, englué dans une toile immonde.

 - Mais c’est le foutoir ici ! Ils ont une raison particulière de ne pas combattre ?!

- Ils sont peut-être en entretien, proposa innocemment Hjotra avant qu’un coup de pied magistral ne l’envoie remplacer le lanceur de runes blessé.

- Brandir refuse de venir se battre ! grogna Svorn. Cet hérétique a chopé le melon depuis votre tentative d’assassinat. Il dit que les arachnides ne sont pas dignes d’être les adversaires d’un héros qui a une destinée. Il a un sac plein d’autres âneries dans le genre. On dirait presque qu’il a répété toute la nuit.

- Mais c’est pas possible d’entendre ça ! s’écria Arzhiel entre ricanement nerveux et colère noire. Je vais aller le chercher par la peau boutonneuse de ses fesses, ça ne va pas traîner !

- Il ne viendra pas, seigneur. En fait, il a les foix. J’ai mis une soirée à lui expliquer ce qu’était qu’une âme. Depuis qu’il a pigé le truc, il sait ce qu’il risque s’il claque au combat alors qu’il n’a pas récupéré la sienne.

             Arzhiel fit mine de se cogner la tête contre le mur et observa la débâcle de ses lanceurs de runes face à une marée grouillante d’arachnides. Seul au milieu de la mêlée, Hjotra s’amusait à en caresser une en riant comme un gosse, inconscient de ce qui se passait autour de lui.

 - Il nous faut des renforts ! vociféra Svorn en tapant le sol de son bâton.

- On est au taquet là ! protesta Arzhiel. Il nous faut une tactique plutôt. Une idée brillante. Une stratégie imparable. Un coup de génie. Un truc qui boise quoi.

- C’est-à-dire qu’au niveau génie, on est plutôt limité.

- Non, vraiment ? ironisa Arzhiel en regardant Hjotra faire du cheval avec son araignée.

- L’autre taré qui se prend pour le cavalier solitaire. Il n’aurait pas une arme de destruction capable de repousser ces maudites bestioles ?

- Vous voulez parler du marteau de guerre à ressort ou du catapulteur d’essaims de guêpes ? La dernière fois qu’il m’a fait une démonstration de ses trouvailles, il a réussi à foutre le feu aux écuries, à blesser quinze cueilleurs et à faire attraper la vérole à mes conseillers.

- Il nous faut lutter avec bravoure contre ces monstres et user de notre dernier souffle pour maudire leur vilenie et la couardise de Brandir ! Allons mourir ensemble, seigneur !

- Partez devant, je vous rejoins…Si seulement cet animal de Hjotra n’avait pas l’esprit aussi tordu que la queue des gorets qu’il élève ! …Attendez ! Par les roubignolles de Gazul ! J’ai trouvé !

             Arzhiel se jeta dans la bataille, attrapa Hjotra par la ceinture et le traîna jusqu’à son atelier. Un petit moment après, il fit évacuer toute l’aile et lança son arme secrète dans les couloirs. Le troupeau de cochons de Hjotra qu’il enflammait à tour de rôle se précipita sur les araignées géantes. Les flammes qui les dévoraient se propagèrent aux monstres et à leurs toiles et une heure plus tard, la masse d’arachnides décimée avait fui dans les entrailles de la terre.

 - Une idée…singulière mais bigrement efficace, commenta Svorn en contemplant le carnage. Il faudra juste en trouver une autre pour tout nettoyer ensuite quand les soldats auront fini de gerber à cause de l’odeur de cramé et quand les cadavres calcinés d’araignées se seront éteints.

- Vous savez ce qui est le pire ? questionna Arzhiel d’un air las.

- Voir Hjotra s’agripper à votre jambe durant une heure pour vous empêcher de lâcher ses porcs ?

- Même pas, il m’avait déjà fait le coup quand j’avais confisqué son bilboquet. Le pire, c’est de savoir que c’est ce boulet qui nous a sauvé la mise.

             Les deux nains se tournèrent vers l’ingénieur félicité de toutes parts par les lanceurs de runes qui n’étaient pas occupés à vomir.

 - Merde, soupira Svorn. Un héros de plus…

30 septembre 2012

Saison 1 - Episode 11 - L’Assassin

            Arzhiel traversa le couloir silencieux en savourant une grosse part de tourte et s’arrêta à hauteur d’un garde vautré contre le mur, ronflant doucement, les mains jointes sur son ventre rebondi. Le nain lui flanqua un coup de pied dans les côtes, sans résultat. Il enleva sa botte pour la fourrer sous le nez du soldat, mais même l’odeur de fauve fut vaine à le réveiller.

 - Mon petit bonhomme, t’as bien de la chance que les latrines soient juste là parce que c’est vraiment tentant !

             Arzhiel alla soulager son besoin naturel devenu urgent en réfléchissant à la punition qu’il infligerait à sa sentinelle lorsqu’un frôlement le fit se retourner. Une lame aiguisée lui passa devant les yeux, si près qu’il en sentit le souffle sur son visage. Un drow vêtu d’une tunique de cuir sombre venait de surgir de la pénombre, lui barrant l’accès à la sortie. Son visage chafouin arborait une expression sadique et démente. Ricanant d’excitation, il s’amusait à faire sauter sa dague d’une main à l’autre.

 - C’est vous qui êtes de corvée de latrines ? plaisanta Arzhiel en reculant. Je n’aurais pas dû pisser à côté, vous avez l’air contrarié.

             Le nain continua de reculer à travers la salle étroite, jetant de sa main libre sur son assaillant tout ce qu’il pouvait ramasser et protégeant farouchement sa part de tourte. Le tueur drow esquiva seaux et pots de chambre en piaillant comme Hjotra quand il devait s’épiler après avoir perdu un pari.

 - J’vais te saigner ! siffla l’assassin hystérique. J’vais te saigner ! J’vais te saigner !

- Je dois admettre que j’avais vaguement saisi la finalité de votre projet.

             Le drow s’élança. A contrecœur, Arzhiel lui jeta au visage sa tourte qui retomba en morceaux sur le sol. Furieux, le tueur dégaina une seconde épée. Il allait frapper lorsque la porte s’ouvrit à la volée dans son dos, le projetant violemment contre le mur où il s’assomma douloureusement.

 - Ça sent pas la tourte ici ? demanda Brandir en humant l’air.

- Par les verrues de ma femme ! s’exclama Arzhiel, stupéfait. C’est bien la première fois que je suis soulagé de voir votre pomme, mon vieux !

- C’est quoi tout ça par terre ?! vociféra le guerrier. De la tourte aux champignons qui tapisse le sol des chiottes ?! C’est pas du boulot, ça !

             Arzhiel haussa les épaules et sortit. Au passage il décocha un coup de pied au drow.

             La nouvelle de la tentative d’assassinat fit grand bruit au Karak, presque autant que celle de l’intervention salvatrice de Brandir, au grand désespoir d’Arzhiel. Quelques heures plus tard, le seigneur isolé dans sa salle du trône regarda approcher son espion convoqué.

 - ‘Jour, seigneur ! Vous m’avez fait demander ?

- Oui. Je ne pensais pas avoir à dire ça un jour, mais j’ai besoin de vos services.

- Alors, la rumeur est vraie ? Un drow a tenté de vous buter en vous forçant à avaler une tourte empoisonnée et Brandir vous aurait sauvé la vie en vous faisant vomir ?

- Quoi ?! Mais qui croirait une ânerie pareille ?

- Bah, tout le Karak. Ça fait la queue aux latrines pour vomir. Tout le monde a mangé à la tourte. Elle était bien bonne. D’ailleurs, faudra engager un autre cuistot. Svorn a fait cramer celui-ci.

             Arzhiel se frotta les yeux, décontenancé.

 - Bon, si je vous ai fait venir…

- Dites, c’est un exploit de mettre la main sur moi aussi vite. Je suis une ombre et si je veux, personne ne peut me retrouver.

- Vous parlez d’un exploit, patate ! Vous cuviez votre bière dans une maison de passes à deux sous au milieu de gueuses au moins aussi attirantes que Hjotra torse nu !

- Ouais, mais là c’était mon jour de relâche…marmonna l’espion d’un ton boudeur.

- Donc, j’ai une mission pour vous.

- En plus, j’y vais jamais dans ce bouge. Normalement, je suis à la taverne.

- Mais vous allez la fermer que je vous explique ?! On sait qui a commandité l’assassinat.

- Je croyais que les tueurs drows étaient entraînés à résister à la torture ?

- Faut croire qu’ils ne sont pas aussi vicieux que nous alors. Je l’ai collé au cachot avec Hjotra qui avait ordre de lui raconter sa vie. Au bout d’une heure, le drow suppliait qu’on l’achève et il a craché le morceau. En plus, Hjotra était content. Il pensait s’être fait un ami…Bref !

- C’est vrai que c’est vicieux, admit l’espion. Vous voulez que je fasse quoi ?

- Ça dépend. Vous avez déjà tué quelqu’un ?

- Vous voulez dire volontairement ?

- Comment ça ? Bien sûr, crétin, volontairement, pas dans votre sommeil !

- Non, je vous dis ça parce que je n’ai pas toujours été espion. Avant j’étais bateleur. C’est là que j’ai appris qu’il valait mieux pas jongler avec des couteaux quand on est saoul.

             Arzhiel eut un instant d’absence et fixa d’un air désolé son espion qui mimait en souriant son ancien numéro.

 - Bon, la cible, c’est le chef de la tribu de l’estuaire, lâcha-t-il avec impatience. Parait qu’il m’en veut parce qu’on a rasé son village et pris ses récoltes ou je ne sais plus quelle pleurnicherie encore. Vous me le retrouvez et hop, vous l’envoyez à Gazul, il en fera bon usage. Poison, arme blanche, flèche, portrait de votre mère, n’importe quoi qui le tuera, je m’en moque. Vous avez jusqu’à la prochaine lune.

- Et si j’utilisais une part de la tourte empoisonnée ? Ce serait original, non ?

- Cassez-vous, marmonna Arzhiel d’un ton fatigué en indiquant la sortie.

             L’espion disparut et laissa passer Dame Elenwë qui s’avança à son tour.

 - Vos sujets sont demeurés, mon tendre, déclara-t-elle d’un ton pédant. Ils sont tous en train de vomir partout dans la forteresse. C’est une épidémie de gastro ou quoi ?

- Non, mais laissez, c’est juste une journée un peu plus bizarre que les autres.

- Vous m’en direz tant. Au fait, j’ai croisé Brandir. Il a insisté pour me donner une grosse part de tourte. Je croyais qu’il m’en voulait toujours depuis l’histoire du rat. Il a bon fond finalement.

             Elenwë n’avait pas terminé sa phrase qu’Arzhiel quittait la pièce, dépité et terriblement las.

30 septembre 2012

Saison 1 - Episode 10 – Le Retour du Champion

             Les nains se déplacèrent le long de la crête, dissimulés sous les fourrés. Arzhiel avait promis au premier qui les faisait repérer par maladresse un nettoyage complet des douves à la petite cuillère. Le seigneur du Karak surveillait donc autant ses soldats que l’ennemi au bas des collines, son regard noir écrasant aussitôt celui qui avait le malheur de trébucher. Les troupes gagnèrent leurs positions respectives. Après plusieurs semaines de poursuites, ils avaient enfin mis la main sur la bande de pillards qui s’en prenaient à leurs caravanes.

 - Ça va être leur fête aux loqueteux ! murmura Svorn en astiquant vivement son bâton.

- Quand je pense aux ronds qu’ils nous ont fait perdre, chuchota Arzhiel. Vous avez intérêt à leur coller une peignée aux coupe-jarrets !

- Ils nous ont volé tant que ça ? interrogea le haut prêtre.

- Trois fois rien. Sauf ce que j’ai dû casquer dur pour obtenir des informations sur leur campement.

- Ah, c’est curieux ! Je croyais que c’était votre espion qui les avait délogé ?

- Alors lui, il a la palme ! gronda Arzhiel. Il commence tellement à me plaire que je crois qu’il va dépasser Hjotra dans mon classement à boulets ! Deux jours pour lui expliquer la mission, trois pour le convaincre de chercher en dehors du Karak…et une heure pour qu’il se perde. Aux dernières nouvelles, il interrogeait les bergers de la vallée pour retrouver sa route !

- Formidable ! gloussa Svorn. Ça veut dire que j’ai perdu une place ! Oh ! Regardez ! Y a un nain qui traverse le camp des voleurs ! Tiens, il est à moitié défroqué…

             Arzhiel et ses soldats se penchèrent pour observer la scène. Un nain vêtu d’une fourrure ne couvrant que son torse marchait d’un pas tranquille au milieu des tentes des bandits. Son crâne était rasé, à l’exception d’une mèche hirsute et colorée d’un rouge vif dressée telle une corne. Il mangeait une poignée de baies et ne prêtait aucunement attention aux coupeurs de gorge qui l’entouraient. Certains l’insultèrent, d’autres le provoquèrent. Il fut menacé, bousculé et même frappé. Malgré cela, il avançait toujours paisiblement, parfaitement calme.

 - Vous voyez ça, messire ?! interrogea Svorn, ébahi. C’est fou !

- Je suis bien d’accord. Un nain des plus timbrés et qui n’appartient pas à mes troupes, c’est extraordinaire !

 Le promeneur dut cependant s’arrêter quand un demi-orc immense lui barra la route. Le voleur prit alors l’une des baies et la mangea sous les yeux du nain rasé. La seconde suivante, ce dernier l’étalait d’un violent coup de boule et commençait un massacre, hache en main.

 - Par la polio de Hjotra ! Il va se faire plier ! On y va !

            Arzhiel sonna la charge et une nuée de nains se rua de tous bords depuis les hauteurs, hurlant et vociférant. Le camp fut pillé et mis à sac une fois les brigands décimés. Arzhiel s’approcha de l’étranger pour le féliciter de sa bravoure lorsqu’il manqua défaillir en reconnaissant Brandir.

 - Mais c’est vous ! s’exclama le seigneur, médusé. Mais vous n’étiez pas en retraite dans la montagne ?! Qu’est-ce vous foutez là à vous balader les miches à l’air ?

- Si, seigneur, car sans détour, je l’affirme sans peur, je suis de retour, répondit placidement le guerrier en enfournant les dernières baies.

- C’est quoi cette coupe de cheveux ? Vous vous prenez pour un tueur de géants ?

- Non, chef suspicieux, c’est à cause de Petit Vieux. Quand sa pipe, il fumait, gâteux, il devenait. Je ne pouvais lui mettre un pain, il était à moitié mort de faim. J’ai laissé faire. Ce n’était pas l’enfer.

- C’est qui Petit Vieux ? demanda Svorn en approchant. Qu’est-ce qu’il raconte ?

- Fhoric ! s’exclama Arzhiel en comprenant. C’est le frère de Thoric, le fantôme de la bibliothèque. Après la perte de son frangin, il s’est retiré dans la montagne pour vivre en ermite. C’est un vieux maître d’armes. J’ai envoyé Brandir le trouver pour qu’il en fasse un guerrier…moins, enfin, moins « Brandir » quoi.

- Et…pourquoi il parle en rimes ? interrogea le prêtre en fixant d’un air curieux son camarade.

- Des dieux, cette malédiction, frappa le vieux et sa diction…

- Non, la ferme, ça devient lourd là, le coupa Arzhiel. Les dieux l’ont puni pour l’avoir laissé mourir son frère aussi débilement. Depuis, il ne peut plus parler qu’en rimes. Il est parti s’enterrer sous un pic avant que le Karak ne le fasse pendre. C’était aussi pénible que les blagues de Hjotra.

- N’empêche, j’ai bien progressé en poésie ! fit Brandir avec un sourire fier.

- Vous êtes né pour être bouffon, je vous le répète sans cesse. Sinon, cet entraînement ? Il vous a fait passer les épreuves sacrées des guerriers ? Le feu, la pierre, le vent et l’eau ?

- Oui, c’est ça, acquiesça le guerrier. J’ai tout foiré.

- Quoi ?!

- Déjà l’eau, je peux pas, c’est maladif. On a remplacé par de la bière, mais j’ai failli me noyer. Le vent, c’est allé très vite. Je suis tombé dans la première fosse, impossible de remonter.

- Oh, mais c’est pas vrai ! se lamenta Arzhiel. Et le feu, je parie que c’est comme ça que vous avez perdu tous vos cheveux, n’est-ce pas ?

- Non, non, non ! se défendit Brandir. Pas les miens. Par contre, ceux de Petit Vieux…

- Finalement, vous êtes bon à rien, aussi futé qu’une quiche et destiné à rester un fardeau !

- C’est marrant, ricana Brandir. Petit Vieux a eu les mêmes mots. Mais en rimes, ça donnait un peu mieux. Tirez pas la tronche, seigneur. Je suis revenu parce qu’il a dit que vous alliez avoir besoin de moi dans les temps à venir. Il l’a lu en jetant les runes. Les dieux ont prévu que je vous sauve la vie bientôt !

- J’ai jeté des tas de runes pour vous, commenta Svorn. J’y ai jamais lu autre chose que le contenu de votre prochain repas ! Depuis quand les dieux accordent-ils un destin aux boulets à crêtes ?!

- Me sauver la vie alors que vous ne savez même pas lacer vos bottes…Je peux vous dire qu’il va les attendre ses prochaines rations, le vieux poète gâteux dans sa grotte ! Si c’est pour sortir des énormités pareilles ! Au fait, et l’épreuve de la pierre ? Ce n’était pas une énigme ?

- J’ai rien pigé. Je crois que ma réponse a offusqué l’esprit de la pierre, il m’a pris mon âme. Dites, seigneur, c’est dur à récupérer une âme ?

                     Arzhiel fixa son champion, le poing le démangeant fortement. Dans un soupir de consternation devenu habituel, il tourna les talons et s’éloigna en pestant. Le classement à boulets venait encore de changer.

 

30 septembre 2012

Saison 1 - Episode 9 - L’Arme Fatale

            Arzhiel regagna son lit en baillant. Dans la pénombre, il se ruina le doigt de pied contre le coin du lit, glissa sur le tapis en peau d’ours et se ramassa sur le lit en gesticulant.

 - Si vous tenez tant que ça à faire des acrobaties, on pourrait en faire à deux…marmonna Dame Elenwë depuis l’autre bout du lit. Vous étiez où ?

- Avec les gardes, fit le nain en massant son pied endolori. J’ai mis une plombe à convaincre ces lavettes qu’ils n’avaient rien à craindre du fantôme de la bibliothèque. Ces ânes avaient monté des béliers sur deux étages tellement ils avaient les miquettes !

- Le fantôme, c’est pas celui du vieux Thoric ?

- Ouais, ce boulet-là ! Il a passé les dix dernières années de sa vie à jouer à « je te tiens par la barbichette » avec son frère. Dix ans à se fixer en attendant que l’autre rigole. Et comme c’était pas des marrants l’un comme l’autre, y a jamais eu de perdant. Il est mort de faim et du coup, les dieux l’ont condamné à hanter la bibliothèque jusqu’à ce que quelqu’un le fasse ricaner. Allez faire comprendre ça à ces bourriques de gardes qui croient encore que Gazul c’est le nom du familier de Svorn !

             Arzhiel s’enroula dans les couvertures en râlant et fit vite semblant de s’endormir avant que son épouse ne lui reparle d’acrobaties. Il y était presque arrivé quand un nain vêtu de loques fit irruption dans la chambre.

 - Gnéééé ?! Que, quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Non, mais allez-y, rentrez !

- Vous dormiez, seigneur ? demanda le nain en haillons.

- Non, je tricotais, ahuri ! Il veut quoi le mendiant ? Voler mes loques ?

- Ou votre savon, ajouta Elenwë en se bouchant le nez. Quel est le nom de votre sujet, mon bon, que je sache comment appeler mon prochain animal de compagnie ?

- J’en sais rien, mais à l’odeur, je dirais que c’est un cueilleur…ou un clodo.

- Seigneur, faut que vous vous leviez ! J’ai été victime d’un terrible larcin.

- Non, mais là, c’est pas vivable, mon brave. C’est une pièce close, ici. L’odeur va tous nous tuer si vous reculez pas. On vous a volé quoi ?

- Mes cochons ! Cinquante beaux porcs échangés ce matin au marché à un orc contre à peine une centaine de cottes de mithril et trois cents unités de charbon. Une affaire en or !

- De…combien ?! suffoqua Arzhiel.

- Seigneur ! hurla Svorn en rentrant à son tour, fou furieux.

             L’odeur du cueilleur arracha une grimace de dégoût au haut prêtre, mais elle ne valut pas celle qu’il eut en voyant Elenwë en robe de nuit. Ses hurlements attirèrent la garde et bientôt une foule de nains curieux se pressa autour du lit du couple seigneurial. Certains avaient même emmené une part de tourte et de la bière, pensant assister à un divertissement. Lorsque les premières boules de feu chassèrent la masse de visiteurs, Arzhiel se retrouva enfermé dehors avec Svorn et le cueilleur, dépité.

 - Jolie chemise de nuit, seigneur.

- Je vous la donne. Vous en aurez peut-être besoin une fois dans les oubliettes…

- C’est intolérable, seigneur ! vociféra Svorn en postillonnant. On m’a volé mon sac de runes !

- Et donc, ça urgeait à la minute ? Ça ne pouvait pas attendre demain ?

- Vous ne comprenez pas. Je mets deux nuits complètes d’incantations pour graver une seule de ces runes explosives. Il y en avait cinquante dans ma bourse !

- Cinquante porcs et cinquante runes explosives ? murmura Arzhiel en réfléchissant. Qui aime les bêtes et la destruction ?

- Gazul, le familier de Svorn? proposa le cueilleur en se grattant l’entrejambe.

- Hjotra ! s’exclama Arzhiel, horrifié, en écrasant la tête du nain contre le mur. Où est Hjotra ?

             Le trio s’engagea dans les couloirs jusqu’à l’atelier de l’ingénieur. Svorn s’entraînait à donner des coups de bâton dans le vide en songeant au châtiment à venir. Le cueilleur trottinait en tenant son pantalon boueux pour ne pas le perdre à chaque pas et Arzhiel lui jetait des cailloux pour le faire s’éloigner d’eux.

            L’atelier de Hjotra empestait le porc et le brûlé. Les cochons se promenaient librement au milieu des balistes et des béliers de siège. L’ingénieur dut se réfugier au sommet d’un de ses engins pour ne pas être écharpé par Svorn et le cueilleur enragés.

 - Simple curiosité, lui demanda Arzhiel en lançant sur son ingénieur tous les outils qu’il trouvait. Vous aviez une raison de braquer tout ça ou c’est juste pour nous rendre dingues ?

- C’est ma nouvelle invention ! cria triomphalement Hjotra. Non, pas le maillet, aie ! C’est une machine de guerre formidable qui va nous assurer la victoire !

- Avec des porcs, donc ?

- Oui ! fit le nain, surexcité. J’ai fait avaler une rune à chaque cochon. J’ai bidouillé une catapulte avec réservoir de porcs. Elle les balance un par un sur l’ennemi. Les cochons se mêlent aux troupes et là, boum ! Les runes explosent ! C’est pas génial ?!

- Il a donné mes runes à bouffer aux cochons ! Je vais me le faire !

- Une catapulte à porcs explosifs…fit Arzhiel, hébété par tant de « génie ». Non, c’est n’importe quoi. J’achète pas, c’est débile.

- C’est débile ! répéta Svorn. Il faut un mot magique pour activer la magie des runes, pauvre nullos !

- Ah, bon ? s’étonna Hjotra en esquivant un tournevis acéré. Lequel ?

             Svorn récita une incantation avec un accent horrible, entre le rot bien rauque et le raclement d’une hache sur de la pierre. Puis le maître des runes se figea, livide. Arzhiel se tourna vers lui, la lèvre tremblante.

 - Dites-moi que ce n’était pas ça, le mot pour activer les explosions.

- C’est pas grave ! répondit nerveusement Svorn. Ça risque rien tant qu’on ne touche pas les porcs.

             Les nains se retournèrent et regardèrent l’atelier envahi de cochons errants, ainsi que la seule issue, cent mètres derrière eux.

 - Alors ! s’exclama gaiement Hjotra. C’est pas une invention terrible ? Hé, dites ? Je peux descendre maintenant ?

 

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30 septembre 2012

Saison 1 - Episode 8 - Retour de Campagne

            Arzhiel était couvert de neige de la tête aux pieds, de ses épais sourcils à sa longue barbe chargée de givre. Il s’ébroua comme un animal en rentrant dans la salle du trône et jeta sa cape et son armure souillée à terre. A son épouse qui venait l’accueillir dans une robe vaporeuse, il n’eut que l’attention de lui fourrer ses bottes malodorantes entre les mains avant de s’écrouler sur son trône dans un râle d’épuisement.

 - Alors, mon cher ? demanda l’elfe en jetant les bottes sur un des conseillers qui ricanait devant son expression vexée. Comment s’est déroulée cette campagne ?

             Arzhiel poussa un grognement rauque et lui tendit une bourse pleine.

 - Votre sottise n’a d’égale que votre naïveté, commenta Dame Elenwë en empochant l’or. Le pari était gagné d’avance. Vous avez essuyé une défaite, n’est-ce pas ?

- J’aurais préféré, soupira Arzhiel. On serait partis à reculons, les yeux bandés, on n’aurait pas mis plus de temps pour le voyage…L’espion nous avait tracé la carte, on a fini trois fois au bord d’un précipice et deux fois dans un campement d’orcs. L’éclaireur, ce vieux borgne rabougri, que Gazul ait son âme ! Il nous a guidé à travers les montagnes. Résultat, un mois de balade dans la nature. Le temps qu’on arrive, la cible avait changé quatre fois d’alliance. On n’a même dû déjeuner avec lui pour célébrer nos nouveaux accords. Et vous savez ce que mangent les humains ? De la salade ! Des légumes ! J’en ai encore des frissons. Brandir en a fait une dépression. Il se prenait pour un lapin et sautait partout en demandant qu’on caresse son poil.

- Et on me critique quand je le change en rat. Vous en avez fait quoi ? Vous l’avez cuit à la broche ?

- Pour choper le typhus ?! On l’a chopé à quinze et on lui a collé une danse pour le calmer. Il n’a mis que deux semaines pour reprendre conscience. Vous savez qu’à force de lapider quelqu’un, il ne crache même plus de sang au bout d’un moment ?

- Finalement, ce n’est pas plus mal, dit la sorcière en jouant avec sa bourse. Pas de bataille, pas de perte dans vos rangs.

- Pas de perte, faut le dire vite avec le commando « bras-cassés » de mon état-major. Hjotra a réussi à paumer une dizaine de béliers en chemin. Incapable de se souvenir où il les avait garé.

- Lapidé lui aussi ?

- Non, traîné à poil à l’arrière d’un chariot sur dix lieues, répondit Arzhiel d’un air désinvolte. Une lieue par bélier. Ça ne lui a pas fait retrouver la mémoire. Mais ça distrait un voyage monotone.

- Et l’autre fanatique ? Quels furent ses exploits ?

- Qui ça ? Svorn ? Ah, merde, Svorn ! On l’a oublié ! Je savais bien qu’il manquait quelque chose…Mais, c’est sa faute aussi. Il tenait tant à brûler ce village de gobelins que du coup, on l’a oublié là-bas. Il aura eu le temps de mieux faire connaissance avec la population comme ça.

- Pauvre amour ! fit Elenwë en grattant le menton de son époux. Peut-être pourrais-je offrir la chaleur de mes bras et la douceur de mes caresses pour vous remonter le moral ? Hum ? Que puis-je faire pour vous être agréable, mon grand ?

             L’elfe se pencha d’un air lascif, croisant ses longues jambes et laissant fondre le décolleté avantageux de sa robe.

 - Vous ne voulez pas me masser les pieds ? proposa Arzhiel. Entre les cors et les champignons aux orteils, ça me fait un mal de chien !

             Elenwë se détourna vivement en voyant le nain remuer ses doigts de pieds crasseux sous son nez. Sa réaction fit ricaner le conseiller proche. Son rire s’acheva en coassement quand elle le changea en grenouille d’un seul geste. L’elfe quitta la pièce, furieuse.

 - Bon, oublions ce fiasco avant que j’aille chercher une corde pour me pendre, conclut Arzhiel. Quelles nouvelles au Karak ?

- On est en plein déficit de nourriture, seigneur, annonça le premier conseiller. Les cueilleurs ont entamé une hibernation sans préavis. On n’a plus de chaussures non plus, on les a toutes mangées pour survivre.

- Moghral le terrible, le semeur de veuves, le dépeceur de nains, le seigneur orc de guerre, loge au château depuis hier, déclara le second conseiller. Il désire un duel avec vous.

- Cooooaaa ! fit le troisième conseiller.

- Quoi ?! s’exclama Arzhiel.

- Cooooaaaa ! répéta le conseiller-grenouille.

             Arzhiel le saisit et le jeta violemment contre le mur.

 - Moghral ? Le duelliste errant ?! Mais c’est un tueur ! Il va me fumer.

- Envoyez Brandir, c’est notre meilleur soldat.

- La barbe ! Je l’ai envoyé s’entraîner seul dans les montagnes tout nu avec son bonnet, histoire de l’endurcir.

- Hjotra ? proposa le second conseiller.

- Je le force à manger de la salade depuis douze jours. Il perdu trente kilos. Si le vent souffle, il s’écroule. J’ai personne sous la main, je vais me faire détruire ! Une autre idée ?

             Les conseillers qui se dirigeaient déjà vers la sortie sur la pointe des pieds se retournèrent et sifflotèrent en faisant semblant de réfléchir. Arzhiel pesta, ramassa son armure et s’en alla, déjà prêt à s’offrir une mort digne face à l’orc, la grenouille juchée sur sa tête. En chemin, il croisa Elenwë qui faisait craquer ses jointures, ses mains encore fumantes de magie.

 - Pourquoi vous vous promenez avec une grenouille sur le melon, mon cher ?

- Montrez vos mains ! lança Arzhiel en virant l’animal d’une gifle. Vous, vous avez utilisé la magie ! Vous croyez qu’on trouve les larbins sous les cailloux ?! Vous avez buté qui encore ?!

- Sais pas, répondit l’elfe en boudant. Je ne le connaissais pas celui-là. Il ne s’est penché que deux fois pour me saluer au lieu de trois. Je l’ai cramé. Entre-nous, le petit personnel ne sera jamais à la hauteur alors ne vous rabaissez pas non plus à embaucher des orcs ! Vous trouverez celui-ci au couloir, à droite. C’est le tas de cendres près du buffet.

- Home sweet home, soupira Arzhiel de soulagement avant de reprendre sa route, pinçant au passage les fesses de son épouse, une grenouille sur les talons.

 

                                             

30 septembre 2012

Saison 1 - Episode 7 - Le Rat et le Corbeau

            Arzhiel pénétra dans la salle d’eau sans se donner la peine de frapper en brandissant devant lui un rat bien gras qu’il tenait par le bout de la queue. Il regretta aussitôt son intrusion lorsqu’il aperçut Elenwë sortant de son bain. L’elfe sculpturale aux formes généreuses passa nonchalamment la main dans sa longue chevelure blonde en regardant son époux d’un air indifférent. Arzhiel ne put s’empêcher de grimacer face à un physique si peu engageant à son goût en comparaison de celui des naines grasses et velues.

 - Vous avez une raison particulière de débarquer ici armé d’un immonde rat, mon tendre, ou vous ne vous souvenez plus de l’effet de mon sort de « Brûle-Fesses » ?

- Je peux savoir pourquoi je trouve un rat gros comme mon poing au milieu de mon auge dès le troisième petit déjeuner ? questionna le seigneur d’un ton impatient.

- Parce que les nains mangent n’importe quoi ? avança l’elfe d’un ton ironique.

- Ah, ne vous fichez pas de moi ! Regardez-le ! Ce rat a une barbe ! Vous trouvez ça normal ?

- Presque aussi normal que le dédain que vous m’inspirez, mon amour.

- Je vous ai répété mille fois de ne pas changer mes soldats en animaux ! C’est déjà assez le foutoir en temps normal pour que vous y ajoutiez une ménagerie. Bon, c’est lequel celui-ci ?

             Le rat remonta le long du bras de Arzhiel et alla lui grignoter l’oreille. Le seigneur de guerre le détendit d’une pichenette dans la tête et le fourra sous son aisselle pour le calmer.

 - Le petit gros avec une barbe qui sent la bière et le ragoût de champignons, fit l’elfe nue.

- Ouais, c’est ça, moquez-vous. Je ne sais pas ce qui me retient de vous coller Svorn aux miches avec un procès pour sorcellerie. Vous savez qu’il est pas jouasse sur le sujet, le copain ! Alors, c’est qui ?!

- Votre maître d’armes, répondit innocemment Elenwë en se rhabillant.

- Quoi ?! Brandir ?! Mais vous êtes barrée ?! Je fais comment pour défendre le Karak avec mon meilleur guerrier changé en rongeur ?!

- Le meilleur ? J’imagine le niveau des autres…

- Bon, le moins pire de mes guerriers. Et il vous a fait quoi pour avoir droit à ce privilège ?

- Il m’a coupé la parole à table. Deux fois. Et quand je lui ai proposé de me faire le baise-main hier, il a vomi à mes pieds !

- Ouais, mais vous aussi ! Vous prenez tout au pied de la lettre. Brandir est un goinfre et la nourriture est sacrée pour lui. Il vous faisait peut-être une offrande de ce qui lui était le plus cher. Ah, ah ! Vous n’aviez pas pensé à ça !

             Elenwë se redressa, le regard acéré, la magie crépitant entre ses doigts.

 - Oulà, c’est bon ! On peut discuter, quoi ! Il était sûrement malade ou ivre. On s’en fout ! Rompez le charme, quoi.

- J’accepte si vous me donnez une descendance, répondit l’elfe en faisant une moue coquine.

- Hein ? Quoi, maintenant ? Non, ça va pas être possible, je viens juste de manger. Vous ne voudriez pas qu’un autre nain gerbe sur vos pieds ? Ce serait ballot.

             Arzhiel eut juste le temps de sortir de la pièce avant qu’une boule de feu n’explose dans son dos. Il s’éloigna en toute hâte, ignorant les jurons en elfique qui le poursuivaient. Brandir le rat avançait en titubant sur son épaule, encore sous le choc de l’inhalation des dessous de bras de son chef. Arzhiel s’engageait dans un corridor lorsqu’une masse sombre lui tomba direct sur le nez. Un cadavre gluant de corbeau déplumé glissa par terre. Brandir se rua dessus pour s’y faire les dents.

 - Mais, c’est dégueulasse ! rugit Arzhiel, furieux. Mais pourquoi je prends un piaf crevé sur le coin de la pomme alors qu’on vit six cent pieds sous terre !?

- Gardez-le, seigneur ! s’écria Hjotra en passant devant en trombe. Il dira rien si c’est vous !

             Comprenant que c’était l’ingénieur qui venait de lui jeter ça, Arzhiel vit rouge et précipita sa hache sur le fuyard. Par chance pour ce dernier, il ne fut atteint que par la cognée et s’écroula après avoir rebondi contre le mur. Arzhiel lui sauta au cou pour l’étrangler.

 - Arrêtez, messire ! gémit Hjotra. Il va me tuer !

- Impossible. Je vous aurai buté avant. On ne balance pas de cadavre d’oiseau crevé sur la tronche de son seigneur !!!

- Hérétique ! hurla Svorn en débarquant à son tour, plus furieux encore qu’Arzhiel.

             Le haut prêtre repéra Hjotra au sol et lança une rune explosive avec colère. Il ne reconnut que trop tard le visage familier de son seigneur près de sa cible. Un éclair aveuglant traversa le couloir tandis que la magie foudroyait les deux nains. Une heure et quelques sorts de guérison après, Arzhiel observait ses deux lieutenants, l’un au gibet et l’autre au piloris.

 - Donnez-moi une raison de ne pas vous jeter aux loups, les petits comiques…

- Il a noyé Foudre Divine ! pesta Svorn en essayant de passer sa jambe au travers des barreaux pour donner des coups de pieds à Hjotra.

- C’était un pari, c’était pas exprès ! Comment pouvais-je savoir que les corbeaux ne nagent pas ?!

- Seigneur, libérez-moi deux secondes que je l’étripe ! Foudre Divine était mon familier !

- Par les orteils de Gazul ! Vous voulez dire que j’ai bécoté un corbeau clamsé, que j’ai morflé une rune d’éclair dans le derche et ai perdu la moitié de mes poils intimes pour un pari ?!

- Vous savez pas où je peux trouver un bouc, seigneur ? demanda Hjotra. J’ai perdu, faut que j’honore mon pari…

- Il est taré, messire ! beugla Svorn en voyant Arzhiel redevenir écarlate. Au bûcher ! Déjà ça fera du bien à tout le monde, ça fera un spectacle pour les gosses, c’est convivial, tout le monde le connaît. Et en plus, les dieux feront moins la gueule maintenant que j’ai plus de familier.

- Non, pas le feu. Vous avez vu le bonhomme ? Je vous raconte pas l’odeur sur les loques après. Dites…les dieux, ils sont pointilleux sur l’animal ? Parce que s’il vous faut une bestiole, ça tombe bien, j’ai justement un rat qui pionce dans ma poche.

- Faites voir ?...Avec un engin pareil, c’est un coup à choper une malédiction. Il est laid comme ma sœur….Et en plus, il sent fort le vomi. Oh, il a une barbe ! C’est pas banal, ça.

- Je peux voir ? s’exclama Hjotra tout excité. Je veux voir !

- Bon vous le gardez ou je vous le sers comme pitance ce soir ?

- Si ça peut vous débarrasser, seigneur. C’est d’accord. Il a un nom ? Foudre Divine II, ça va pas le faire avec un machin pareil. Aie ! En plus, il mord l’abruti !

- Bof, fit Arzhiel en toussotant. Sais pas…Appelez-le Vomi.

- Trop fort ! cria Svorn, conquis, pendant qu’Arzhiel s’éloignait discrètement.

- Je peux voir ? Dis, dis ? Je peux voir ? Hé, vous croyez qu’il sait nager ?

 

                       

30 septembre 2012

Saison 1 - Episode 6 – Expédition Souterraine

            Plaqués contre la paroi d’un tunnel, l’escouade de nains tapis dans l’obscurité attendait en épiant les ténèbres. Un cliquetis se fit entendre au loin, ainsi qu’un souffle rauque. Il y eut un bruit de chute, un juron, l’acier et le mithril s’entrechoquant et l’écho de pas lourds qui s’approchaient. Un vieux nain borgne et essoufflé apparut devant ses congénères, massant sa jambe de bois en haletant comme une forge.

 - Non, mais vraiment, ça rime à quoi ? ! pesta Arzhiel en fixant l’éclaireur. Allons-y avec cornes et trompettes, niveau discrétion, ça ne pourra pas être pire !

- C’est notre meilleur chasseur, seigneur, répondit Hjotra d’un ton piteux. Il a des années d’expérience.

- Des siècles plutôt ! Il a vu grandir ma grand-mère ! Regardez le, il est à moitié moisi, il est aussi furtif qu’un troupeau de vaches avec clochettes et en plus il pue l’urine à cent lieues ! On a du bol si les Drows ne nous tombent pas dessus dans la minute !

- L’alerte n’a…pas été…donné, parvint à articuler l’éclaireur essoufflé.

- Les sentinelles ne vous ont pas entendu avec tout ce bordel ?!

- Si, si…Elles m’ont chopé quand…je pissais sur leur murailles…D’ailleurs, c’est ça l’odeur…J’ai du mal à viser avec un seul œil…Ils voulaient me faire la peau…Je leur ai refilé le goret de Hjotra…Ils se sont mis à le torturer en ricanant et m’ont oublié.

- Choupy ! se lamenta Hjotra avec désespoir.

- Choupy, c’est le goret ? fit Arzhiel, hébété. Je peux savoir ce que vous foutez en mission avec un porc et pourquoi l’éclaireur part en reconnaissance avec ?!

- Bah, on sait jamais, au cas où on vient à manquer de provisions…

             Arzhiel massa vigoureusement ses tempes douloureuses, sentant la migraine revenir. Hjotra pleurnichait à ses côtés et ne s’arrêta qu’au second coup de pied dans son postérieur. Le seigneur nain fit signe d’avancer et la troupe se mit en marche, aussi lente que bruyante. Un enfant les aurait vu venir, mais les sentinelles Drows étaient fascinées par la torture de Choupy et furent quasiment piétinés par les nains qui s’engouffrèrent dans leur campement. D’autres gardes arrivèrent et la bataille débuta.

 - Pour Gazul ! psalmodia Svorn, hystérique. Sus aux Oreilles-Pointues !

- C’est qui Gazul ? demanda Brandir d’un ton innocent.

             La troupe des nains pila d’un même réflexe et braqua ses regards pesants sur le guerrier.

 - Je déconnais ! lança Brandir en ricanant. Vous me prenez pour un demeuré ?

- Vous ne tenez pas vraiment à entendre ma réponse, lui répondit poliment Arzhiel avant de l’expédier en première ligne en lui bottant les fesses.

             Les Drows jaillirent de tous côtés et les nains se placèrent en formation. Arzhiel dut promettre trois fois une double ration de champignons pour que ses soldats sortent de leur léthargie et boutent l’ennemi. L’escouade envahit le bâtiment principal et pénétra dans la salle principale où les attendait leur cible, le maître des lieux. Muíredach était le prêtre d’un culte démoniaque, mais surtout un sorcier menant de sombres recherches menaçant le Karak des nains. Ces derniers ayant juré de le détruire, et accessoirement de piller ses richesses, se jetèrent sur lui.

            Un géant des roches leur barra la route et les repoussa les uns après les autres. Il était encore plus gros et hideux que ses congénères, sûrement victime des sorts de son maître. Arzhiel regarda ses guerriers voler en tous sens à travers la pièce d’un air désolé. Il intercepta Brandir au retour de son cinquième vol plané. Le guerrier était en piteux état mais fulminait de ne pas encore avoir reçu le coup fatal qui lui apporterait une mort honorable au combat.

 - Brandir, venez-là ! Mais arrêtez de mordre le manche de votre hache, vous savez combien ça coûte à fabriquer ?! Bon, je ne voulais pas vous le dire, mais…Ce géant des roches, c’est lui qui a terminé le dernier tonneau de bière de Perce-Panse. Il tape aussi chaque nuit dans nos réserves de champignons. Et en plus il a dit tout à l’heure que vous aviez une sale gueule.

- Seigneur ! lança Hjotra, caché derrière une table renversé. Vous pensez vraiment que ça va marcher ? Brandir est niais mais…

             Il n’avait pas fini sa phrase que Brandir venait de décapiter le géant des roches, pris d’une furie sanguinaire, et s’acharnait à lui faire sauter tous les orteils en gémissant de rage. Arzhiel aurait presque été fier de lui s’il ne l’avait pas trouvé aussi affligeant. La victoire fut totale. Muíredach et ses fidèles furent exécutés et le campement, ravagé. Les nains rassemblèrent leurs blessés et chantaient de joie quand Svorn leur annonçait la mort de l’un d’eux.

 - Ah, les veinards, soupira Brandir d’un air déçu devant les corps de ses camarades morts.

- Votre tour viendra, le rassura Arzhiel  en l’observant jouer avec les orteils du géant.

- Seigneur ! l’appela Hjotra. L’éclaireur est en train de claquer.

- Encore une bonne nouvelle ! Enfin…Je veux dire, c’est bien, son âme va gagner un repos mérité auprès des dieux et…

           Arzhiel s’interrompit en réfléchissant.

 - Attendez. Il nous a baladé deux jours dans ces fichus tunnels. Quelqu’un connaît le chemin du retour à part l’éclaireur ?

             Personne ne répondit et tous se regardèrent. La seconde suivante, une trentaine de nains se ruait sur l’éclaireur, presque cané sur les pavés. 

 - Faites-lui un garrot !

- C’est sa tête ça ?!

- Quelqu’un est-il sobre pour lui faire une transfusion ?

- Brandir, foutez la paix à ses orteils !

- Passez-moi un bandage au lieu de lui voler son futal !

- Mais comment il s’est demmerdé pour se pisser sur la barbe ?!

             Les nains s’activèrent fébrilement autour de leur ami mourant, mais ce dernier était moribond. Arzhiel chercha autour de lui et s’empara d’une dizaine de potions sur une étagère intacte. Persuadé qu’il y avait forcément dans le tas un philtre de guérison, il vida les flacons un par un dans la bouche de son éclaireur. La dernière fut la bonne et le vieux éclopé rouvrit les yeux. L’assemblée poussa un soupir de soulagement.

 - Gniiii ? articula-t-il. J’ai rêvé d’un endroit génial où on pouvait fouetter les elfes et même leur piétiner la tronche…Qu’est-ce qui s’est passé ? Où est mon pantalon et pourquoi ma barbe est devenue verte ?

- Arrêtez de ricaner, bande de boulets ! gronda Arzhiel. Le premier qui fait une remarque sur sa paire de cornes ou sa voix de fillette prépubère, je l’envoie ouvrir la marche.

- On est sauvés ! s’exclama Brandir en montrant une potion qu’il venait de trouver. « Potion d’amnésie », avec un nom aussi dégueulasse, ça va sûrement le requinquer !

             Il est dit dans les légendes que le hurlement collectif de la troupe naine lorsque le guerrier fit absorber le philtre à l’éclaireur fut tel que son écho résonna une semaine durant à travers les galeries souterraines, vingt lieues à la ronde.

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30 septembre 2012

Saison 1 - Episode 5 - Le Cadeau d’Anniversaire

            Arzhiel s’enfonça dans la galerie silencieuse plongée dans les ténèbres en réajustant ses fourrures. A la lueur blafarde de sa lanterne, il aperçut une silhouette sur le côté. Avec surprise, il reconnut Hjotra, son ingénieur en chef, assis sur une stalagmite brisée, seul dans le noir. D’un air rêveur, le nain lançait machinalement des petits morceaux de cadavres de rats en direction de chauves-souris endormis plus loin, comme du pain aux oiseaux.

 - Qui va là ? demanda-t-il en clignant des yeux face à la lumière.

- La reine des trolls, répondit Arzhiel en approchant.

- Sérieux ? Bah, mince alors !

- Mais non, c’est moi, tête de pioche ! fit le seigneur en s’approchant. Vous avez une raison particulière de traîner au fond des grottes sacrées au beau milieu de la nuit, en robe de chambre et dans le noir ou vous avez finalement perdu l’esprit ?

- J’arrivais pas à dormir, messire, répondit Hjotra en tripotant son bonnet de nuit à pompons.

- Et les gardes vous ont laissé passer ?

- Ils roupillaient dans un coin quand je suis arrivé.

- Je demande, naïvement, moi aussi…

- Mais et vous, seigneur ? Vous ne dormez pas ?

- Si, mais euh…c’est mon épouse…Elle était d’humeur badine et ne dormait pas, elle. Remarque, j’aurais dû me douter quand elle a débarqué dans la piaule avec juste deux bouts de tissus sur la croupe. Je me suis barré avant qu’elle se décide à me sauter sur le poil.

             Arzhiel eut un frisson de dégoût qui lui parcourut tout le corps pendant que Hjotra le regardait d’un air compatissant. Le chef de guerre hésita un instant devant l’air encore plus absent que d’habitude de son lieutenant et alla s’asseoir à contrecœur près de lui.

 - Je vous écoute. Qu’est-ce qui vous turlupine ? 

- C’est à propos de ce qu’a dit Svorn aujourd’hui.

- Quoi ? Que vous étiez plus bigleux qu’abruti, et plus abruti que couard ?

- Non, ça c’est normal. En plus c’est pas tout à fait faux.

- Je ne vous le fais pas dire, murmura Arzhiel.

- Il a dit que je n’étais responsable des armes de siège que par hasard.

- Ah, ça c’est faux, par contre ! Je vous ai moi-même choisi et désigné à ce poste. Enfin, bon…la vérité, c’est qu’à l’époque j’avais absolument besoin d’un ingénieur et comme j’étais en froid avec la Guilde à cette époque, ils ont voulu me refiler que vous. C’était de bonne guerre…Vous êtes rassuré ?

- Pas vraiment. J’ai parfois l’infime impression de ne pas vous apporter satisfaction en tant que soldat. Regardez, à la dernière bataille, j’ai chargé mais j’ai pris le manche de mon marteau dans les noix. Bon, je l’avais mal passé à ma ceinture et avec l’élan…Résultat, j’ai rien vu des combats et je n’ai pu remarcher qu’une heure plus tard.

- Et reparler, deux heures après, acquiesça Arzhiel. Je me souviens.

- Et la fois où j’ai confondu nos éclaireurs avec des drows. C’était rageant en plus, c’était la première fois que j’en touchais autant à la catapulte !

- C’était quand Brandir vous a rasé le crâne et vous a fait la tronche un mois durant pour avoir buté ses soldats ? Ah ouais, c’était…pathétique. Bon, vous avez encore un peu de mal avec l’exercice de terrain, mais ça viendra. Vous n’avez même pas cent ans !

- Vous êtes gentils, seigneur.

- Ou terriblement sot, question de point de vue. Si vous voulez m’impressionner, il va aussi falloir vaincre votre peur des gobelins. Je vous ai vu gueuler comme une pucelle quand on a lapidé ces réfugiés gobelins sous la muraille !

- Je n’ai pas peur des gobelins ! se défendit Hjotra, ses pompons dansant alors qu’il niait farouchement. C’est juste parce qu’ils ressemblent à des enfants.

- Des enfants ?! Les enfants vous collent les miquettes ?!

- Maaaaaais ! Ils sont tout petits et bizarres ! Quand ils bougent, on dirait Svorn lorsqu’il joue au ventriloque avec les cadavres des sacrifiés. Et leurs regards ! Et quand ils parlent, on comprend rien.

- Ça, c’est plutôt un concept qui vous est familier, pourtant.

- Comment vous voulez dire, seigneur ?

- … Non, rien, soupira Arzhiel. Bon, vous êtes une bille. Si encore vous étiez le seul ou que j’avais mieux sous la main, je vous foutrais au trou et tout serait réglé. Mais jusqu’à ce que ça arrive, on va devoir se supporter et prendre chacun sur soi. Vous percutez ?

             Hjotra fixait son seigneur d’un air pensif, jusqu’à ce que Arzhiel comprenne qu’il était captivé par le balancement de son pompon sous ses yeux. Ce dernier le lui arracha et après le lui avoir enfoncé dans sa bouche entrouverte, le pressa à le suivre.

 - Vous savez pourquoi ces grottes sont sacrées, pauvre hère ? Parce qu’elles renferment le reliquaire où on conserve nos trésors.

- C’est là que vous alliez, messire ? fit Hjotra, son bonnet mâché à la main.

- Demain, c’est l’anniversaire de ma femme et il me faut un présent. Je vais lui refourguer une de nos babioles. L’an passé, j’avais oublié. Le matin, je me suis réveillé avec une fournée de serpents et de cafards dans le pieu. Croyez-moi, j’ai eu de meilleurs réveils agonisant dans la boue gelée d’un champ de bataille.

- Alors, Dame Elenwë pratique encore la magie ?

- Si ce vieux débris m’avait dit que la récompense de ma quête serait une sorcière elfe à prendre pour épouse au lieu d’un sac d’or, il servirait aujourd’hui encore de cible à vos balistes ! Maintenant je dois lui offrir absolument un cadeau.

- Argh, une elfe, éructa l’ingénieur avec le même frisson de dégoût que son chef. Mais pourquoi un présent ? Je croyais que vous pouviez pas la blairer ?

- Vous êtes lents….Quand elle me fait pousser une queue de porc sur le derche ou qu’elle me colle de la vermine au fond du plumard, je vous assure que la seule chose que j’ai envie de déposer sur ses joues délicates, c’est un bon gros taquet. Mais mis à part la peur, la révulsion et le mépris, on finit par s’attacher au bout de cinquante ans. Comme une vieille blessure de guerre horrible et handicapante. C’est laid, ça vous pourrit la vie, puis on s’habitue à la voir vous bouffer et on finit par l’exhiber pour déconner devant les copains.

             Arzhiel se retourna une fois arrivé devant une large porte.

 - Allez, zou, fit-il avec un sourire contrit. Rentrez là-dedans et allez me chercher une broutille, un casque d’ornement, une massue hérissée de pointes, une tête d’orc empaillée, n’importe quoi, on s’en balance, l’autre cruche n’a aucun goût de toute façon. Vous vouliez une mission d’importance. Je vous confie celle-ci.

             Hjotra n’eut pas l’air de tout comprendre, mais Arzhiel le poussa à l’intérieur du reliquaire d’une bourrade.

 - Ah ! Prenez ça, lui dit-il en lui fourrant sa bourse contenant les morceaux de cadavres de rats dans la main. Ça vous servira.

- A quoi, seigneur ?

- Un cerbère protège le reliquaire des voleurs. Vous lui donnerez vos saloperies, là. Ça lui servira d’apéritif…

             Hjotra fronça les sourcils, mais Arzhiel lui claqua la porte au nez avant qu’il n’ouvre la bouche.

 - Et magnez-vous. Si je me réveille avec le moindre reptile dans les bras, je vous force à devenir l’amant de l’autre garce !

 

                       

30 septembre 2012

Saison 1 - Episode 4 – Frère de l’Ours

            La porte de la salle du trône s’ouvrit à la volée, faisant sursauter Arzhiel, penché sur un tas épais de cartes et de parchemins. Le haut prêtre de la cité, entra d’un pas emporté.

 - J’exige…Euh, les dieux exigent un sacrifice ! gueula Svorn d’un ton courroucé.

             Arzhiel écarta ses lectures et soupira longuement.

 - Non, je vous en prie, entrez, vous me dérangez pas, je bullais…Qu’est-ce qui est arrivé à votre barbe ?

             Svorn passa la main sur sa barba à moitié cramée d’un air peiné.

 - Oh, c’est rien, marmonna-t-il, furieux. Un accident bête. Je testais une nouvelle rune et elle m’a explosé à la gueule. Mais qu’importe ! L’heure est grave, messire ! Un cueilleur m’a rapporté qu’il avait vu ce matin même une guêpe effectuer trois tours au-dessus d’un poulet avant que celui-ci aille picorer devant une mule. La guêpe s’est ensuite posée sur la croupe d’un mouton et celui-ci…oh, par mes aïeux, il a poussé un long bêlement !

 - Je suis content de constater votre intérêt pour notre bétail mais qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ?

- C’est un présage des dieux, malheureux ! Préparons une épreuve du Frère de l’ours ! Suspendu par les pieds au-dessus d’une cascade furieuse, l’élu devra lutter contre les ours pour pêcher à la main trois saumons. S’il échoue…ou survit, les dieux nous détruiront !

             Arzhiel soupira de nouveau d’un air las.

 - Qui voulez-vous buter …pour les dieux, cette fois ?

- Le péril est de taille ! gronda Svorn en tapant le sol de son bâton. Il faut un non nain !

- Aucun problème, on est juste à trente lieues de la première cahute non naine. Bon, cassez-vous, je vais voir ce que je peux faire.

           Arzhiel ferma à clé en jurant dans sa barbe après Svorn. Il n’avait pas regagné son trône que la porte explosa bruyamment, défoncée à coups de hache. Brandir enjamba les débris en grognant comme un dément. Arzhiel ne connaissait que deux expressions au chef de ses guerriers : un ahurissement bêta ou une fureur démentielle. Celle qu’il arborait était nouvelle : c’était un mélange des deux.

 - Non, mais vous êtes cintré, ma parole ! s’écria Arzhiel.

- Baston ! rétorqua le maître d’armes. J’ai entendu à la taverne que si on peut vaincre le chef de la forteresse en duel, on devient seigneur à sa place. Je vais vous battre, monseigneur.

- Vous faîtes encore la tronche parce que je vous ai confisqué votre double des clés des cuisines, c’est ça ?

             Brandir se mit en position de combat. Arzhiel haussa les épaules et alla se placer devant lui. Brandir jeta son gantelet au sol pour signaler le début du duel. Arzhiel lui donna un coup de pied dans le tibia et enchaîna avec une pique aux yeux. Il acheva le combat ridicule en giflant Brandir avec son gant abandonné tandis que celui-ci se frottait la jambe en piaillant de douleur. Arzhiel éjecta son maître d’armes dans le couloir et punaisa une menace de mort sur sa porte reconstruite pour le prochain qui oserait le déranger. Naturellement, et sans surprise, Hjotra, le chef ingénieur, rentra dans la salle du trône une minute plus tard.

 - Non, mais c’est pas vrai ! s’exclama Arzhiel en jetant ses plans en l’air. Vous allez me dire que vous n’avez pas vu l’avertissement à la porte ?!

- Ah, si, messire, mais je ne sais pas lire.

             Arzhiel songea un instant à mordre son lieutenant jusqu’au sang, mais préféra inspirer à fond avant la crise cardiaque.

 - La patrouille est de retour, seigneur. Ils rapportent qu’un tas de bêtes rôdent à nos frontières.

- Des bêtes ? Quelles bêtes ? Les loups ?

- Non, répondit Hjotra dans un effort démesuré de réflexion. C’est plutôt comme des gros chiens dégueus en meute.

- Des loups !

- C’est pas des renards… C’est pas des chiens…

- Des loups !!!

- Ouais, c’est ça des loups ! fit l’ingénieur avec un large sourire.

- Laissez courir, c’est normal, on est en pourparlers, lâcha Arzhiel, les doigts crispés sur ses accoudoirs. Ou plutôt non, allez les surveiller. Vous pouvez même les caresser. S’ils grognent et aboient, c’est bon signe. Mais allez-y seul et sans votre matos. Vous verrez ils sont très câlins.

             Hjotra se fendit d’un nouveau sourire radieux et commença à expliquer qu’il adorait les bêtes. Arzhiel parvint à le virer tandis qu’il racontait son premier amour pour une vache atteinte du typhus. Le seigneur du Karak ramassa ses parchemins éparpillés en se jurant de fendre le crâne du prochain à rentrer dans cette pièce.

 - Grincheux, Simplet et le reste de la bande sont partis, la voie est libre ?

           Arzhiel sursauta en voyant une silhouette s’extirper de derrière les rideaux. C’était un homme trapu au visage blême et au regard perçant emmitouflé dans une cape noire. Arzhiel retint sa hache en reconnaissant son espion officiel.

 - Ah ben vous revoilà vous ! Deux mois que vous aviez disparu, j’ai failli envoyer votre pomme aux chasseurs de primes pour vous retrouver. Vous savez qu’on est en plein conflit ? Un espion, ç’aurait pu servir.

- Désolé, messire, Le chat de ma grand-mère avait fugué. Il est petit mais très sauvage !

             Arzhiel passa du rouge au violet et commença à mâchouiller sa barbe.

 -  J’espère pour vous que vous avez des renseignements dignes de ce nom ou je vous colle au trou avec un plat d’herbes elfes par jour à vous partager avec Brandir !

- Aucun risque, seigneur. Ecoutez ça : en parlant de Brandir, il fait semblant d’être somnambule la nuit pour que les gardes lui ouvrent la porte des cuisines.

- M’en fous.

- Alors, votre épouse essaie de vous tromper depuis plusieurs semaines mais comme elle ressemble à rien, elle ne trouve aucun amant, pas même le vieux gâteux qui tient la taverne.

- Pourquoi vous n’iriez pas dire ça à quelqu’un que ça intéresse ?

- Euh…Votre cousin que vous aviez envoyé en exploration à la recherche de nouvelles ressources. Il est rentré depuis quinze jours, mais il campe dans la cave de la taverne à dilapider sa solde en bière avant que vous le foutiez au cachot. Il n’a rien découvert du tout et a perdu son groupe le lendemain du départ.

- Apprenez-moi quelque chose que j’ignore, marmonna Arzhiel en perdant patience.

- Hjotra est persuadé qu’il mourra dévoré par des gobelins, c’est pour ça qu’il a peur d’affronter des orcs.

- Même les laquais sont au courant de ça…

- Je sais pourquoi le cours de la courge fluctue tant au marché.

- …

- Hum…Vous saviez que Brandir collectionnait les orteils des adversaires qu’il tue ?

             L’espion se tut en voyant son seigneur saisir sa hache, salua bien bas pour signaler la fin de son rapport et attendre une nouvelle mission. Arzhiel s’apprêtait à le frapper lorsqu’il eut soudain une idée.

 - Vous êtes non nain, vous, non ?

- Mi nain, Mi humain, répondit fièrement l’espion. Mais ce n’est pas la taille qui compte, messire.

- Ouais, merci, je suis vaguement au courant. Allez voir le lanceur de runes de ma part.

- Impossible. Il me jette des cailloux dès que j’approche du temple depuis que j’ai révélé à tout le monde qu’il avait perdu ses sourcils après une mauvaise manipulation de rune et qu’il se les dessinait maintenant.

- Dites-lui que c’est moi qui vous envoie. Il comprendra.

- En quoi consiste la mission ?

- Vous verrez, dit Arzhiel en le raccompagnant. C’est à la fois très pittoresque et très atypique. Vous qui rêvez de rendre service à la communauté, vous allez apprécier…Dîtes-moi, vous aimez les ours et la pêche ?

boulet2005

 

 

                       

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Karak Vanne
  • Karak Vanne est une série humoristique se situant dans un univers médiéval fantastique, à mi-chemin entre Noob, Le Donjon de Naheulbeuk et la série Kaamelott. Elle raconte les mésaventures d'un clan de nains, de son seigneur et les boulets qui l'entourent.
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